Diverses tentatives ont été faites pour montrer soit que Marx avait pris en compte la question écologique dès le départ et qu'il avait été mal lu par la suite, soit qu'il pouvait être relu de manière à la prendre en compte. La thèse le plus souvent soutenue est celle de James O'Connor, qui argue d'une « seconde contradiction » du capitalisme, entre les forces productives et les conditions de reproduction, lesquelles ont été diversement soulignées par Marx (le capitalisme épuise la terre et le travailleur, le « métabolisme » entre le travail et la terre, etc.). Mais, contrairement à ce qu'il promet dans son article inaugural, la valeur joue un rôle marginal dans son analyse. O'Connor évoque des « nouveaux mouvements sociaux » – lesquels ? Quelles sont leurs motivations ? Leur conception de la valeur ? La théorie marxienne de la valeur-travail n'est pas interrogée alors qu'elle est souvent prise à partie par des analyses jugées proches de l'écologisme (ainsi Dominique Méda, ou Moishe Postone) – à tort ou à raison ? Peut-on s'en tenir à considérer la nature comme « une richesse » qui n'aurait rien de commun avec la valeur, comme le suggère Jean-Marie Harribey ?
Ces discussions sont difficiles à suivre et leur lien avec les luttes concrètes paraît souvent éloigné, difficile à étayer. Le débat marxisme/écologisme finit par devenir purement spéculatif, sans aucun lien avec les pratiques. Harribey finit, par exemple, par reconnaître qu'il ne sait pas « quelles forces sociales sont susceptibles de porter un projet majoritaire démocratique de transformation de la société » ? Cette théorie est donc hors-sol. Où est l'exigence scientifique marxiste ? Le marxisme s'est d'abord voulu une pratique. Si l'on veut en conserver l'esprit, il faut donc rester près des faits. Afin de voir si le mouvement ouvrier peut affronter la question écologique, se pose donc la question de savoir quelle théorie, parmi les divers marxismes disponibles, est restée proche de sa pratique. Notre hypothèse est que c'est ce que l'on appelle le « marxisme classique ». Nous mobiliserons ensuite différentes analyses jugées proches de l'écologisme, pour les confronter à ce marxisme classique, dans le but d'éclairer les pratiques écologistes, dans leur rapport au mouvement ouvrier. Notre hypothèse est certes discutable. Les plus anciens d'entre nous auront sans doute l'impression que nous revenons à de vieilles lunes. Mais jugeons-la aussi aux résultats qu'elle permet de produire, en termes d'intelligibilité. L'enjeu est d'essayer de sortir d'un débat purement intellectuel, qui nous semble un peu tourner en rond, en termes d'intelligibilité du réel, car s'étant coupé des pratiques.
Nous montrerons ici que l'écologisme peut se comprendre, au travers de la lecture marxiste, comme un mouvement de critique de la réalisation de la valeur, qu'il s'agisse du moment de la consommation finale (rouler en vélo, manger bio etc.) ou de la consommation intermédiaire (investissement dans les moyens de production). Ce constat éclaire bien des débats. Cela explique tout d'abord le positionnement opportuniste de l'écologisme par rapport au marché (ex des campagnes de Greenpeace). Cela explique aussi l'ambiguïté de "l'économie écologique" qui, tout en présentant des caractères néoclassiques, ne peut se confondre avec une apologie du néolibéralisme, ce qui laisse les marxistes classiques dans l'embarras. Sous l'angle de l'analyse économique l'écologisme (au moins celui du Nord) peut être assimilé à une nouvelle bourgeoisie, promouvant une nouvelle forme de liberté, combattant, comme les premiers socialistes, l'oppression, mais générant aussi d'autres inégalités.
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