A l'heure où l'Allemagne est couramment présentée dans le débat public comme le modèle à suivre pour sortir de la crise économique en France comme en Europe, les raisons de nuancer les fondements de ce « succès » sont pourtant nombreuses : augmentation continue des inégalités depuis 20 ans, développement massif d'un secteur à bas salaires, stagnation des salaires des classes moyennes, recul sans précédent de la protection sociale... Le projet de cette communication est de mettre en perspective les évolutions récentes du modèle de capitalisme allemand, notamment le rôle joué par la vague de réformes mises en œuvre par le Chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000.
Il s'agira principalement d'éclairer la dynamique politique qui a sous-tendu ces réformes. Parce qu'elles ont été mises en œuvre par une coalition de partis de gauche (partis social-démocrate et écologiste), de nombreux commentateurs soulignent le supposé consensus qui aurait existé au sein de la société allemande sur leur bien-fondé. Les principales mesures de l'Agenda 2010 ayant majoritairement porté sur l'indemnisation du chômage (lois Hartz), l'opposition aux réformes aurait été limitée à un certain nombre d' « exclus », notamment les chômeurs d'ex-Allemagne de l'Est. Elles auraient par contre bénéficié d'un soutien large à l'Ouest, y compris au sein de l'électorat ouvrier traditionnel du parti social-démocrate. L'analyse que nous en faisons conduit cependant à contredire cette interprétation. Il s'agit ici d'attirer l'attention sur le fait que ces réformes ont profondément remis en cause le caractère assurantiel de la protection sociale, conduisant à fragiliser la position économique d'un large segment de la population, y compris des salariés de l'Ouest. Cette politique de la troisième voie à l'allemande (Neue Mitte) a de ce fait marginalisé les partenaires historiques du SPD, notamment les syndicats, cette défiance se traduisant par un schisme au sein du parti et par une baisse de popularité durable lors des élections ultérieures.