Cet article a pour vocation de retranscrire dans le langage de la théorie économique contemporaine un texte méconnu de Torrens portant sur la formation du revenu et sa répartition entre les classes sociales. Ce texte, qui est contenu dans l'appendice à la cinquième et dernière édition de External Corn Trade publié en 1829, est intitulé : “On the Means of Improving the Conditions of the Labouring Classes”. Les principaux aspects de la théorie du salaire de Torrens peuvent êtes mises en évidence à partir d'un modèle élémentaire où le blé est la seule marchandise produite dans l'économie. Beaucoup de commentateurs de Torrens ont souligné que certaines de ses démonstrations reposent sur un taux de profit déterminé comme un ratio entre deux quantités d'une même marchandise (voir par exemple Langer, 1982 ; De Vivo, 1985, 1986, 1996, 2001 ; Prendergast, 1986 ; Vidonne, 1986 ; Hisamatsu, 2009). Dans cet article, nous cherchons à montrer que la principale contribution de la théorie du salaire de Torrens réside moins dans le recours explicite à l'hypothèse du blé homothétique, que dans son approche originale de la répartition fondée sur la double relation fondamentale qu'entretiennent les marchandises et le travail : d'une part, les marchandises sont le produit du travail, d'autre part, elles permettent de l'acheter et fonctionnent, à ce titre, comme capital. Par certains de ces aspects, il apparaîtra que la représentation analytique de la répartition obtenue à partir de l'approche de Torrens est différente de celle que l'on trouve habituellement dans les développements contemporains issus de la théorie de Sraffa.
Plus précisément, après avoir identifié le problème économique posé par Torrens concernant la relation entre la reproduction de l'économie capitaliste et celle de la force de travail, notre interprétation conduit principalement :
1) à proposer une expression du salaire comme le résultat du jeu concurrentiel sur le marché du travail ;
2) à mettre au point un mode de détermination de la répartition qui ne présuppose pas la fixation exogène du salaire ou du taux de profit ;
3) à concevoir un concept original de surtravail pour l'explication du profit sans recourir à la théorie de la valeur-travail.
Au final, il apparaît que l'approche de Torrens jette les bases d'une conception originale du profit en tant que prélèvement effectué sur la base d'une transaction marchande spécifique aux économies capitalistes. L'idée selon laquelle le profit rémunère une pratique spécifiquement capitaliste, donc historiquement déterminé, est une idée centrale dans la pensée classique et chez Marx. A la différence de Marx qui pose la question du surplus en valeur, l'approche de Torrens propose une formulation de ce problème en termes physiques. Sa théorie s'impose dès lors comme la première formulation, non seulement des schémas de reproduction de Marx (Benetti, 1986, p. 23), mais également du problème posé par l'auteur du Capital dans ce qu'il nomme la théorie de l'exploitation. Son approche de la répartition aboutit à une conception du surtravail pour l'explication du profit fondée sur une reformulation des notions de travail nécessaire et de travail commandé par rapport à leurs interprétations traditionnelles. De ce point de vue, la contribution de Torrens à l'explication du profit constitue un argument en faveur de la théorie de Sraffa (1960) qui permet de recourir aux notions classiques de travail nécessaire et de travail commandé en dehors de la théorie ricardienne de la valeur-travail ou de la théorie marxiste de la valeur.